DES MURS ET DES MEUBLES...

A.MAG 02 2012

L'architecture de Wespi&deMeuron

 

  

Markus Wespi et Jérôme de Meuron vivent et travaillent au Tessin. Une terre d'architecture. Une terre dont le caractère d'exception est de conjuguer une double influence. La proximité avec l'Italie e, qui aura permis au Tessin, bien qu'en marge et en minorité, de ne pas être isolé. L'appartenance à la Suisse, qui bien que jouissant d'une prospérité économique évidente, conserve un pragmatisme suffisamment fort pour ne pas user de cet atout dans une expression démesurée de l'architecture. Bien que l'un, Markus Wespi, soit autodidacte, et l'autre, Jérôme de Meuron, ait suivi la formation plus classique d'une école technique,
ils sont issues, tous deux, d'une même culture, d'une même "éducation architecturale", celle, sans caricature, de la précision, de la rigueur, de la vérité constructive.
Ils ont choisi le Tessin pour s'exprimer, par hasard ou par intuition, portés peut-être par cette idée de convergence culturelle.
Si les architectes de l'Ecole Tessinoise puisèrent longtemps leur inspiration dans la lecture savante de l'oeuvre de Le Corbusier ou de celle de Louis Kahn, c'est, singulièrement, auprès d'un autre grand Maître, Frank Lloyd Wright, que Jérôme de Meuron et Markus Wespi, au gé de leur parcours professionnel, allèrent développer les fondements d'une approche personnelle.
Une forte empreinte qui aura marqué leur apprentissage de l'architecture et dessiné ce que, aujourd'hui, leur travail traduit.
Frank Lloyd Wright, qualifiait son architecture d'architecture "organique".
Au sens entendu d'une philosophie architecturale qui recherche une parfaite harmonie entre les formes d'habitat et le monde naturel qui les environne, dans une forme diffuse de continuité et de fluidité.
Un concept d'architecture qui prône l'idée qu'un ouvrage, et principalement, une maison, un espace de vie, doit être naturellement un élément du paysage, et doit se fondre dans une inter-réaction avec la nature.
Une exposition récente à New-York et intitulée, "De l'intérieur vers l'extérieur", reflètait un des concepts fondamentaux de Wright,
à savoir que l'espace interne détermine la forme extérieure et que l'architecture doit suivre en ce sens les principes que la nature adopte pour elle-même dans ses modes constituants.
"L'intérieur est l'élément principal d'une construction, celui qui doit être reflété à l'extérieur comme un espace contenu", écrivait Wright.
Ouvrage emblématique, The Fallingwater House, en est la plus parfaite illustration.
"Je voulais que ce lieu devienne une partie de vous-même, expliqua Wright à son commanditaire, je vous place donc directement dans la chute, sur le rocher - qui est une partie de la cheminée - là où vous aimez pique-niquer, donc au centre, et au lieu d'origine de la demeure."
Patiemment, Wespi&deMeuron, dans une écriture à quatre mains, inscrivent leur propre architecture sur ce fil de pensée, et tissent une série de liens ténus avec la part de territoire, jamais anodine, qui leur est donner à investir. On pourrait qualifier, trop vite ou trop facilement alors leur architecture de contextuelle. Cette interprétation tendrait à considérer que chaque projet ne proposerait qu'une forme de singularité, mimétique ou décalée, dans la confrontation univoque avec un site. Un éternel recommencement du processus de réflexion, induisant pour chacune de leurs réalisations une résonnance issue de l'élaboration, de la recherche, ou des expérimentations appliqués pour concevoir chacune des autres. Le contexte n'est jamais perçu uniquement pour lui-même, mais comme la situation subjective et toujours unique de la rencontre, ou des rencontres.
La rencontre avec un Maître d'Ouvrage, étroite, intime, déroutante parfois.
Celle plus sereine avec un lieu, une topographie dont il faudra jouer, un paysage qu'il faudra capter et donner à voir.
L'écriture de l' architecture que leur dédie, Wespi & de Meuron, dans une maturité grandissante, s'est progressivement nourrie des expériences successives et ne recèlent de similitude que dans une expression récurrente et répétée d'un goût immodéré pour le détail. Le détail, unique ou multiplié, imprime le caractère de chacune de ces maisons dont les ressemblances et les différences surprennent.
Un détail qui est aussi un outil. Un outil à l'usage de la gestion des échelles.

Wespi&de Meuron jouent du contraste des échelles en mettant l'accent sur la résolution du micro-élément, par l'attention presqu'obligée que l'on y porte.
Ils magnifient la grande échelle, d'une part dans la perception des espaces majeurs de la maison, d'autre part, dans la relation attendue avec le site qui s'en trouve exaspérée.
La "petite échelle" n'est jamais considérée comme un handicap mais représente une force contenue, une compacité assumée, induisant un sens de l'usage très mesuré, très adapté et s'inscrivant, à la fois, dans une pratique optimisée de l'espace et la perception augmentée des volumes majeurs. Un extérieur omniprésent. Directement ou par séquences additionnelles.
Accompagnant un parcours, ou figeant par cadrage de grand ou de petit format, l'essentiel de ce qu'il convient d'appréhender, de "faire entrer".
Distincte ou associée à un projet de vue, en tableau sur le paysage, directement captée ou insinuée, la lumière naturelle s'invite, accompagne tout parcours, en confirmant et soulignant cette volonté manifeste de toujours lier, relier et d'offrir à chacun des espaces une ouverture, une échappée, dans le souci permanent d'une continuité interne ou d'un prolongement extérieur.
Portes et fenêtres sont davantage perçus comme des "trous" dans la matière, une part manquante du mur qui les contient. Jouer de l'épaisseur de la matière, pour adopter un mode de percement identique concernant invariablement parois verticales ou plans horizontaux. Pas d'espace d'entrée, ou si peu, mais une immersion immédiate dans le lieu essentiel de la vie d'une maison, la cuisine.
Une centralité autour de laquelle semble s'articuler chacun des autres espaces de vie et qui en détermine position et communication.
on y retrouve la notion de foyer, de ce lieu où tout se concentre, tout se rassemble, tout se dit...
Comme dans l'atelier des architectes où table et table de réunion se confondent.... Comme Wright avant eux, ils multiplient les variations.
Dans l'utilisation différenciée des matériaux, et non pas dans une juxtaposition à valeur de catalogue, mais aussi dans les distinctions qualifiantes (couleurs et textures) qui leur sont appliquées.
Les matériaux, mais également les procédés de construction. Combinant sans cesse recours aux connaissances d'un art de bâtir local et mise en oeuvre de techniques nouvelles.
L'ajout, par dissimulation ou double fonctionalité, des instruments les plus sophistiqués d'un confort moderne, n'est jamais subi et demeure empreint, d'une délicate sensibilité pour le travail artisanal.
Il apparaît avec évidence, que cet intérêt soit considéré par Wespi&de Meuron, comme un paramètre culturel fondamental qui représente une forme nécessaire de prolongement et de transmission, d'un savoir-faire.
Une culture qui dépasse la culture constructive des architectes pour s'ériger en culture du lieu, et proposer l'évidence d'une implantation sur les courbes de niveau les plus accueillantes ou celle d'une agrégation quasi "urbaine" au déjà bâti. Des murs, expression première de l'installation, qui deviennent ainsi, tout à la fois, contre-fort et structure spatiale. Abstraction, ils sont protection, et signent les oppositions contrastées de l'ouvert-fermé et du clair-obscur. Expression, ils sont contenant, parfois ornement, jamais éphémères, évoquant avec insistance une pérennité. Et insensiblement, transportent une diffuse évocation à l'histoire,
une référence à valeur d'hommage à l'ancestrale édification de formes fortes. Et des meubles, le plus souvent dans l'expression d'une mono-matière, le bois, d'une seule et même essence.
Composants, structurants, séparateurs et eux-aussi contenants, ils sont, à la fois, les contre-poids de la pierre ou du béton de l'enveloppe, et les outils de"fabrication" de l'espace intérieur.
Monolithiques souvent, ils recèlent cependant nombre de jeux subtils d'assemblage, (le détail, toujours le détail!), et assument toute diversité de fonction sous une constante mais jamais lassante apparence.
Une écriture noble, servie par des matériaux et un savoir-faire qui emprunte un vocabulaire volontairement restreint pour privilégier l'authenticité à l'ostentatoire, l'intemporel à l'effet de mode.
Et être en somme Tessinois...dans l'héritage.

Philippe Meyer & Julia Voormann