VOYAGE A VICENZA

RIVISTA L'ARCHITETTO 2018

Récit d’une exposition, « David Chipperfield Architecte »

« Nous nous dirigeons toujours vers la maison »

Herman Hesse

 

Quittant Vicenza, enthousiastes, tous et chacun, se sentaient transportés vers l’inattendu.
L’itinéraire, au travers des paysages de l’arrière-pays, rajoutait au mystère, à l’envie de la découverte, au sentiment plus tard confirmé d’un privilège.
J’avais le souvenir de ces mots, qu’Herman Hesse attribuait au poète Novalis, ‘‘Vers quoi nous dirigeons-nous ? Vers la maison !’’
Dans un joyeux désordre, nous y sommes. Enfin. Un orifice presqu’ hasardeux, percé au travers de la paroi rocheuse nous projette soudainement dans un monde singulier.
Celui d’une carrière, lieu d’excavation devenu soudain lieu scénique. Magique, l’espace, libre, fluide, n’est soutenu, que par ce qui ne peut plus être soustrait. Le négatif de l’extraction, les colonnes de pierre.
Me revenaient alors en mémoire les images du projet exposé, découvert quelques heures plus tôt, et qui, désormais, s’offrait à nous.
Un projet générique. Un projet pour l’homme et pour les hommes. La révélation d’un lieu. Ces images, elles nous avaient accompagnés toute la journée durant.
Les images portées par les mots, tout d’abord, ceux de David Chipperfield choisis pour exprimer profondément l’essence d’un métier, d’une profession.
L’architecture de David Chipperfield est celle d’un voyage. L’exposition donnée à voir à Vicenza en est une invitation.
Un voyage qui ne s’accomplit pas seulement à travers l’espace mais aussi à travers le temps.
David Chipperfield a en quelque sorte « installé » son architecture dans les murs de la Basilique Palladienne. Et cette « occupation » n’a rien du hasard.
Il ne s’agit pas d’une exposition rétrospective et cependant, dans l’ensemble des projets, récents, achevés ou en cours d’étude, présentés, c’est l’entier d’une œuvre dans sa constance et sa patience qui transparaît.

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En cela, la Basilique de Vicenza représente le lieu idéal. Dans son process, dans ce qu’elle symbolise, elle figure et concentre, les thèmes essentiels qui définissent le travail de l’architecte.
Et cette définition représente une forme métaphorique de l’œuvre de Chipperfield.

Rien ne prend corps et matière sur rien, tout est contenu dans ce qui est déjà là, présent dans le paysage, présent dans le sol investi, présent dans l’histoire même des murs déjà bâtis.
Un mot semble s’imposer comme une évidence. Dimension.
Une dimension poétique qui repose sur l’expérimentation autant que sur la théorie, le savoir, la technologie.

Une dimension culturelle qui démontre l’étonnante capacité à inscrire la pratique architecturale au-delà des limites du savoir-faire.
Pensée elle-même comme un projet, l’exposition ne se confronte pas à la Basilique mais trouve dans ce lieu le moule d’une pensée.
Pas de lien obligé d’un projet à un autre, pas de volonté d’y trouver une immédiate cohérence autre que celle qui conduit à la lecture globale d’une œuvre.
La Basilique devient le temps d’une exposition un atelier parmi les ateliers, la transposition conjuguée des différents lieux qui, à travers le monde, travaillent sur une grande diversité de commandes. Un atelier commun.

Les projets présentés, douze, trouvent alors dans ce volume et son épaisseur urbaine, une résonnance particulière.
Il se dégage ainsi une familiarité, une forme de parenté dans le regard porté sur l’œuvre comparée de Palladio et de Chipperfield.
Le parallèle est évident. La question de la commande, celle de l’échelle, celle des valeurs données ou ajoutées.
La commande qui choisit et la commande choisie, une forme d’excellence, par les thèmes abordés et par ceux qui progressivement, parce qu’ils sont à l’origine de thèmes essentiels, ceux de la maison, toujours la maison, de l’espace sacré, des lieux de conservations des valeurs culturelles de notre temps, se tournent vers David Chipperfield comme hier, ils se tournaient vers Andrea Palladio.
L’échelle, celle de la Basilique, celle d’une grande halle, qui contient, qui s’extrait de la ville, tout en la construisant et qui oblige par sa présence, au silence.
Les échelles, celles qui, par leur générosité, impriment un caractère, une pérennité, et imposent une forme de défi au temps.
Les valeurs données, ajoutées, enfin, celles de l’authenticité, de la vérité de la matière et des modes constructifs, qui dépassent le cadre strict de la commande et du programme, pour rechercher et souvent, atteindre, l’intemporalité.
Parcourant l’exposition, rien ne nous parle de l’architecte mais tout nous parle d’architecture et de culture. Il n’y a pas l’expression d’un geste, d’un signe ostentatoire qui pourrait faire parler de soi mais tout au contraire, des murs bien souvent lourds, épais, bâtis pour faire parler les autres, ceux qui pour qui, ils sont destinés, bâtis pour exprimer un lieu.
L’architecte s’efface, tant son approche apparaît éclectique, mais par la somme, l’addition, ce n’est qu’une seule marque qui s’imprime.
On y ressent le poids de la recherche, une définition large du travail de l’architecte, une approche méthodologique qui échappe à toute mécanisation, tout automatisme de la réponse et qui illustre la variété du mode d’intervention. Chaque question est différente, aborder la question c’est déjà en partie y répondre mais si le langage reste intelligible, de commune écriture, reconnaissable, il n’utilise les mêmes mots que pour dire les mêmes choses.
La scénographie imaginée communément par les différentes agences David Chipperfield, prédétermine un parcours en boucle, une boucle qui n’est en rien liée à une succession chronologique.

La question de la temporalité est secondaire et n’a pas de prise sur la pensée appliquée à chacune des interventions. La décision et l’acte de bâtir n’y sont jamais directement reliés.
Les projets de David Chipperfield naissent et demeurent ceux d’un endroit, un projet au Japon sera à jamais japonais, un projet allemand restera à jamais allemand, c’est de culture dont il est question avant que d’architecture qui s’en nourrit, et trouve dans les murs qui la construisent, un équilibre subtil entre stabilité et sensibilité.

Installation scénique dans une carrière de pierre

Installation scénique dans une carrière de pierre

Dansent alors encore dans le souvenir de ce voyage à Vicenza, les colonnes de la Cava Arcari, la profondeur de ces grottes, leur reflet dans les bassins dont elles émergent, la force de la lumière dans l’obscurité, la fraicheur de l’air, le son des pas, j’y aurai vu la maison, les maisons, toutes les maisons.

 

Philippe Meyer