L’ARCHITECTURE EN ETAU ENTRE ART ET PRET-A-HABITER

Journal Le Temps 2004

La question du logement est affaire de marché. En l’état actuel de celui-ci, le débat relatif à sa production se cristallise sur l’objet architectural, sur son image controversée, pour se détourner sans cesse du fond culturel relevant des stratégies d’aménagement et d’occupation du territoire.

Les processus de planification, les scénarios de développement, la gestion de l’utilisation du sol, l’évolution des structures professionnelles, la multiplication des formes de vie devraient conduire à une réflexion globale sur l’»état » culturel de la question en associant les différents acteurs de la production.

Récemment interrogés, des professionnels de l’immobilier, qui se réfèrent à des valeurs culturelles symboliques pour démontrer la pertinence des arguments publicitaires mis au service de leurs promotions, déclaraient l’architecture impropre à répondre à la demande, fustigeant ouvertement les architectes qui imposeraient dogmatisme et vision du monde.

Il est vrai que les architectes n’ont plus, comme l’utopiste du début du XXème siècle, à déterminer un mode de vie, un mode de comportement, mais, préoccupés par un héritage, par un patrimoine culturel à protéger et, à la fois, convaincus de l’efficacité sociale du projet moderne, ils revendiquent la capacité à contrôler la fabrication et l’évolution des villes en engageant ainsi leur responsabilité.

L’architecture doit-elle, exclusivement, en se caricaturant, abandonner la construction profane aux professionnels de l’immobilier, pour se consacrer uniquement aux ouvrages les plus prestigieux de la commande publique ou privé ? Il y aurait-il deux mondes, celui d’un architecte voué à l’expression d’un Art, et celui d’un autre, artisan sans fard du prêt-à -habiter ?

Dans une société où, éphémères, prêts à l’immédiate consommation, jetables, les constituants de notre environnement se virtualisent, l’habitat incarne encore, paradoxe ou contradiction, la pérennité, le désir et le devoir de durer.

Cette définition en fait un produit culturel au sujet duquel les notions de différence et de contextualité sont à défendre, tant il est vrai, que le paysage bâti que l’on nous propose (impose?), ne nous invite pas à faire l’économie de la mémoire.

 

On ne peut s’empêcher de penser que ce sont précisément les professionnels du logement qui observent le débat dans une perspective déformée ou détournée. Ce n’est certainement pas un hasard si les logements les plus recherchés le sont dans des structures réaffectées, revisitées du non-résidentiel.

Dans sa conséquence économique intrinsèque, le produit construit implique la multiplication d ‘un identique et non la révélation d’une identité..

C’est bien là que se situe la confusion des genres d’un débat dont la seule issue est culturelle. Cette reproduction est l’expression d’un pouvoir, celui d’un micro domaine, qui trouve sa justification dans les succès-stories commerciaux qu’il génère.

Or, seule la forme terminale de la demande est prise en compte, celle de la nécessité, de l’objet rare. Les réels besoins échappent à l’analyse, la famille nucléaire sert encore de référence. Pourtant, dans un contexte marqué par une pluralité de pratiques sociales, par les diversités culturelles, cette famille « idéale » ne constitue plus la normalité mais l’une des normalités multi-formes.

Pour dépasser le hiatus entre les acquis de la recherche et l’ acquis culturel de l’usager, et cesser de confondre, norme et qualité, règlements et règles, type et identité, il est indispensable de recourir à l’expérimentation de nouveaux modèles.

Il n’est plus temps de faire le procès historique des logements des années cinquante mais il est temps de dire stop et d’assumer une définition culturelle du construit.

Le logement ne peut se contenter de répondre aux besoins fondamentaux mais doit également offrir des espaces de liberté, permettre des modes d’occupation différents, faire du « confort » une composante récurante de son architecture. Il doit devenir support, éliminer progressivement la notion du fixe, projeter une scénographie interne, refléter une mobilité, autant d’éléments qui ne résultent pas d’une vision fonctionaliste mais font référence à de réelles valeurs esthétiques. A une époque où le virtuel et le net transforment radicalement diffusion et consommation culturelle, la question du logement traduit une rupture qu’il est urgent de théoriser.